Demande d'espaces gracieux
Voilà plus de 60 ans que nous regardons la télévision. De nouvelles technologies sont apparues et avec elles, de nouveaux usages. Le téléspectateur, au cµur des ces changements, a fait l’objet d’un débat dans le cadre des Lundis de l’Ina.

SOMMAIRE
1/ La télévision dans les corons
2/ La télévision est morte, vive la télévision !
3/ Le  phénomène Nabilla 

Du Magazine du mineur aux Anges de la téléréalité, de l’ORTF à la Social TV, la télévision n’a cessé d’évoluer au gré des usages et des mutations techniques. Le téléspectateur a-t-il pris une part active à ces changements ?

Apparue à la fin des années 1940, la télévision a très vite fidélisé les téléspectateurs. 60 ans après, elle reste le média dominant. Qui sont les téléspectateurs d’aujourd’hui, et qui étaient ceux d’hier ? Ce sont les questions qui ont été posées lors des Lundis de l’Ina le 7 octobre 2013 :  Le téléspectateur des années 1950 à aujourd’hui .
 
La discussion s’est articulée autour de la thèse de Geraldine Poels, agrégée d’histoire et ancienne élève de l’École normale supérieure de Lyon, intitulée Naissance du téléspectateur : une histoire de la réception télévisuelle des années 1950 aux années 1980[+]. Participaient l’auteure de la thèse, les historiens des médias Isabelle Veyrat-Masson et Christian Delporte, ainsi que la sociologue Dominique Pasquier.

Trois thématiques ont rythmé le débat illustré d’extraits issus des collections de l’Ina : l’arrivée de la télévision dans les foyers français, les mutations techniques et sociales et le téléspectateur d’aujourd’hui.


1/ LA TV DANS LES CORONS

Du mineur d’Artois aux ménagères bretonnes, la télévision a très vite trouvé sa place dans le salon des Français, et dans leur quotidien. Pourtant onéreux (équivalent au prix d’une voiture), le petit écran n’a pas fait de distinction sociale, de sexe ou de génération. Objet moderne, à la fois inédit et populaire, les Français, même avec peu de ressources financières, n’ont pas hésité à s’en équiper.
 
Le débat s’est ouvert sur un premier extrait montrant des mineurs interrogés sur la télévision. Nous apprenons que la télévision fait très tôt partie intégrante de la vie de ces travailleurs. Malgré le sacrifice financier, beaucoup sont les heureux détenteurs d’un poste de télévision. Pour Geraldine Poels, à l’évasion ou aux passe-temps que ces mineurs ne peuvent pas s’offrir, se substitue le visionnage de divertissements sportifs, de films ou de reportages sur de lointaines destinations.
 
L’auteure nous explique également que la télévision a dès ses débuts un fort ancrage régional. En 1952, le premier émetteur régional est installé à Lille. Télé-Lille diffuse les programmes nationaux, mais également des programmes locaux. Elle s’est notamment adressée pendant douze ans (de 1959 à 1972) directement aux mineurs et à leurs familles par l’intermédiaire du Magazine du mineur.

Depuis le début, la télévision française s’intéresse à son public. Dès les années 1950, les téléspectateurs sont consultés, notamment grâce à des micros-trottoirs. Dans les années 1960, les enquêtes de l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française) fleurissent pour questionner les téléspectateurs sur la qualité des programmes qu’ils regardent. Loin d’être totalement passif, le téléspectateur devient  expert .  Les téléspectateurs des années 1960 expriment leur mécontentement : ils réclament davantage de divertissement.  La sociologue Dominique Pasquier est à ce propos frappée par le courrier qui est envoyé à l’ORTF (courrier utilisé par Geraldine Poels pour son étude) : le téléspectateur, mécontent, réclame davantage de divertissement. Pour Isabelle Veyrat-Masson, les attentes du public, friand de divertissement et de variété, contrastent avec le modèle de légitimité culturelle que l’ORTF doit alors incarner.

2/ LA TV EST MORTE, VIVE LA TÉLÉVISION !

Dès 1947, on s’interroge, avec une perspicacité troublante, sur l’avenir de la télévision. De nouvelles façons de la regarder étaient déjà envisagées. Et il y a à peine 6 ans, les usages que nous en faisons aujourd’hui n’étaient encore qu’en construction. La TNT, la télévision sur mobile ou encore la VOD : autant d’évolutions qui ont aussi changé les façons de consommer la télévision et font désormais partie de notre quotidien. La télévision est-elle définie par ses usages ? Sommes-nous en train d’assister à sa fin ?
 
Christian Delporte nous rappelle qu’Internet est, avant d’être un média, un support. Quand on parle de télévision, doit-on penser au téléviseur ou au contenu ? L’historien nous rappelle qu’au XIXe siècle, on parlait de la disparition du livre. Puis il y a eu le livre de poche, et aujourd’hui la tablette. Et pareillement pour les journaux et la radio : un média ne disparaît pas, il évolue et il s’adapte.
 
Pour Dominique Pasquier, le multi-équipement dans les foyers a été un énorme changement, mais n’a pas tué la télévision.  Il faut se méfier d’un discours opposant une télévision abrutissante et un web culturel.  Selon la sociologue, il faut également se méfier du discours pointant du doigt une télévision abrutissante, contrastant avec un web culturel : une étude a montré que les programmes les plus regardés en catch-up[+] sont des téléréalités.

3/ LE PHÉNOMÈNE NABILLA

Le téléspectateur et la télévision ont évolué en même temps, s’influençant réciproquement. Les usages ont changé, ainsi que le regard qu’on porte sur la télévision. Pour Geraldine Poels, les modes de réception ne sont plus les mêmes et la télévision cultive depuis quelques années le second degré chez les téléspectateurs qui s’amusent davantage avec les programmes. Ainsi, Nabilla et consorts ne seraient pas eux-mêmes un réel reflet de la société, mais correspondraient davantage à l’idée que le public se fait aujourd’hui du divertissement. 

Le  phénomène Nabilla  est toutefois représentatif d’une chose : la télévision et Internet fonctionnent bien ensemble. Pas besoin de regarder la télévision pour avoir vu Nabilla, mais la vidéo YouTube de la jeune fille a permis à l’émission Les Anges de la téléréalité, à laquelle elle participe, de gagner de l’audience. Ainsi, le  phénomène Nabilla , parangon de la viralité sur le web, serait davantage représentatif de la société que l’émission elle-même.

Pour Christian Delporte, les réseaux sociaux ont sauvé la télévision. Grâce à eux, elle est restée communautaire, et même multicommunautaire. Nous la commentons davantage, moins le lendemain au bureau, mais beaucoup sur les réseaux sociaux de type Twitter.
 
Pour le professeur en sciences de l’information et de la communication François Jost, présent le 7 octobre, la télévision a toujours été participative et le téléspectateur toujours actif. Internet n’a pas créé cette posture, mais elle l’a renforcée, donnant au public davantage de moyens de réaction et d’expression. Le téléspectateur participant aux débats politiques sur Minitel en est un bon exemple.